Paulhac, Le siège et la bataille de Leucate…
Ce haut fait d’armes, raconté ici de façon dithyrambique par un certain Paulhac, avocat toulousain, constitue un épisode du conflit qui opposa la France et l’Espagne pendant près d’un quart de siècle, de 1635 à 1659. Le château de Leucate, dernière place forte du royaume située sur la pointe orientale des Corbières maritimes, fut en effet l’enjeu d’une bataille mémorable qui se déroula dans la nuit du 28 au 29 septembre 1637. La forteresse, dont la garnison n‘excédait guère une centaine de personnes, assiégée par une armée espagnole nombreuse et puissante (14 000 hommes de pied, au moins 1 600 chevaux, plus de 30 canons et mortiers), ne dut son salut qu’à l’arrivée des troupes françaises placées sous le commandement du duc d’Halluin, gouverneur de la province : venues de tout le Languedoc, ces milices parvinrent à déloger l’ennemi grâce à leur bravoure et à l’effet de surprise créé par le choix audacieux d’une attaque nocturne. Aussitôt après le coucher du soleil, cinq offensives furent lancées en même temps afin de desserrer l’étreinte qui étouffait la citadelle et sa petite garnison.
On croirait entendre, à la lecture de ce récit haletant, le bruit des canons et des mousquets, le hennissement des chevaux, les cris de rage ou de douleur, les ordres qui fusent, les hurlements des soldats transformés en torches vivantes après l’explosion d’une réserve de poudre ; la lune éclairait le théâtre des opérations, mais, peu avant l’aube, elle laissa la place à une profonde obscurité qui obligea Espagnols et Français à interrompre les hostilités. Lorsque le jour se leva, les ennemis avaient fui dans le plus grand désordre, abandonnant leurs armes, leur matériel, leurs morts et leurs blessés. Les Castillans, qui ne doutaient pas un seul instant de la victoire, venaient de subir, à Leucate, une cuisante défaite dont le retentissement fut considérable. La nouvelle se propagea rapidement, diffusée par des relations et des gravures imprimées à Toulouse, à Paris, à Metz, en Allemagne ; il y eut un peu partout des manifestations de joie, on frappa une médaille pour commémorer l’évènement. À Toulouse, le peintre Jean Chalette composa un tableau qui disparut à la Révolution ; il orna aussi les Annales capitulaires d’une enluminure, célèbre pour son clair de lune: elle fut arrachée du registre en 1793. L’eau-forte ici présentée, dessinée par Barral et gravée par Paule de Roques avec une étonnante précision, permet de découvrir le site de Leucate, entre mer et étang, de localiser les forces en présence (Espagnols au milieu de la composition, Français décrivant un arc-de-cercle sur la gauche) et d’imaginer les difficultés de cette furieuse bataille engagée pour délivrer la citadelle que l’on distingue à droite. Le sieur de Calvet, trésorier général de France, qui commandait avec Catel, ancien capitoul, 200 dragons envoyés par la ville de Toulouse, se distingua par sa bravoure : il rapporta plusieurs étendards espagnols dont trois restèrent longtemps suspendus à la voûte de l’église des Jacobins.
On ne doit pas oublier toutefois que depuis un an les Espagnols s’étaient emparés de Corbie, mettant la capitale en danger. La victoire de Leucate n’en avait que plus de prix et justifiait le bâton de maréchal gagné de haute lutte par le duc d’Halluin ; elle apparaît comme un prélude à la révolte de la Catalogne soutenue par le roi de France qui devint comte de Barcelone en 1641. Les ruines de la forteresse, démantelée par ordre de Louis XIV, perpétuent aujourd’hui encore le souvenir de cette furieuse bataille où tombèrent quelque 3 500 combattants.
Christophe Péligry est directeur honoraire de la Bibliothèque Mazarine, il s’intéresse particulièrement à l’histoire de Toulouse au XVI et au XVII siècles.
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